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Procédure Pénale
mars 2019 ⁄ n° 335 ⁄ p. 12 « petit judiciaire » – celui des effectifs de sécurité publique qui correspond en volume à l’essentiel de l’activité judi-
ciaire (sur 4 480 892 procès-verbaux reçus par les parquets en 2017, 2 947 126 ont fait l'objet d'un classement
sans suite et seuls 595 261 ont donné lieu à des poursuites pénales, données issues des chiffres-clés de la justice 2018).
Certains empilements procéduraux sont en outre largement sujets à caution en termes de pertinence et d'utilité :
à quoi bon en effet rédiger des procès-verbaux d'interrogatoire lorsque la garde à vue du suspect fait l'objet d'un
enregistrement audiovisuel ? Un rapport de synthèse et une bonne clé USB éviteraient sans doute à l'enquêteur de
ployer sous la forme au détriment du fond.
Bien davantage que d'autres branches du droit, la justice pénale est en outre victime de l'intempérance normative
contemporaine. En ce domaine comme dans d'autres, la quantité est difficilement compatible avec la qualité. La multi-
plication des lois répressives, leurs raffinements byzantins, l’impossibilité où l’on se trouve de pénétrer leurs couches
de sédiments successifs rendent la justice pénale si complexe qu’elle n’est accessible qu’à une poignée d’initiés. Avec
son rituel hermétique, le langage juridique se ferme à qui n’est pas son familier : quel citoyen, par exemple, peut saisir
d’emblée la différence entre le témoin assisté et le mis en examen ? Combien connaissent la distinction entre la garde
à vue et l'audition libre, ou mieux encore le contrôle d'identité et le simple relevé d'identité ? Combien de lectures suc-
cessives faut-il pour saisir les subtilités des dispositions se rapportant à la composition (collégialité ou juge unique)
du tribunal correctionnel qui emboîtent plusieurs propositions dans un chapelet composé de règles générales, de
nuances et d’exceptions particulières ? Comment expliquer sérieusement à un usager du service public qu'aucune
perquisition ne peut être réalisée sans son assentiment exprès et écrit dans le cadre de l'enquête préliminaire mais
que son refus peut facilement être surmonté par une autorisation judiciaire ? Comment admettre qu'un suspect
puisse impunément mentir devant un enquêteur alors même qu'il bénéficie par ailleurs d'un droit au silence ?
Au-delà de l’accumulation des textes et de leur délicate articulation, la dégradation de la norme s’explique ensuite par
son excessive précarité. Source de prévisibilité et gage de sérieux, la stabilité de la règle n’est certes pas une fin en
soi. Sans doute, l’inconstance est-elle même préférable à l’immobilisme lorsque les conditions politiques (alternance)
ou les événements (menace terroriste) l’imposent. Mais, il faut savoir distinguer les changements nécessaires (ainsi
en matière de géolocalisation ou de palpations de sécurité) des réformes inutiles, vainement conflictuelles ou débat-
tues avec une hâte ou une fébrilité excessive. Personne ne peut plus tenir aujourd’hui la comptabilité – ni vérifier
la nécessité – des réformes successives en matière de garde à vue, de détention provisoire, de contrôles d’identité.
Que penser par ailleurs de l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante transformée en millefeuille lar-
gement indigeste au gré des réformes successives (plus d'une quarantaine, dans l'attente de l'avènement d'un Code
de justice pénale des mineurs annoncé, à la surprise générale, le 21 novembre 2018 par la garde des Sceaux) ? Com-
ment raisonnablement justifier quatre réformes successives en l’espace de quelques années (lois des 15 juin 2000,
4 mars 2002, 18 mars 2003 et 14 avril 2011) de la notification du droit au silence au suspect placé en garde à vue ?
Comment admettre, sur la même période, autant de voltefaces législatives sur la compétence territoriale des OPJ
(lois des 1 février 1994, 8 février 1995, 18 mars 2003, 9 mars 2004, 14 avril 2011, 22 mars 2016 et 3 juin 2016)
er
ou la répression pénale de certaines infractions comme le harcèlement sexuel, le racolage public ou bien encore la
consultation habituelle de sites faisant l'apologie du terrorisme ?
Enfin, à l’instar des lois saisonnières (comme la loi du 10 août 2011 instituant très éphémèrement – le temps d’une
brève expérimentation – des citoyens-assesseurs devant les tribunaux correctionnels et les tribunaux de l’application
des peines), les lois excessivement maniaques perdent également en respectabilité. Au lieu de s’en tenir aux grands
e
principes comme on le faisait au xix siècle, le législateur contemporain se veut exhaustif et s’encombre de détails et
de cas particuliers. N’est-il pas ainsi superflu de prévoir dans la loi (en l’occurrence, celles du 18 mars 2003 et du
24 juillet 2006) que certains contrôles d’identité pourront être pratiqués « sur la route nationale 2 traversant la
commune de Régina dans le département de la Guyane » ou « sur la route nationale 4 traversant le territoire
des communes du Gosier, de Sainte-Anne et de Saint François dans le département de la Guadeloupe » ? En ne
distinguant plus l’accessoire de l’essentiel, le perfectionnisme affaiblit la clarté, la concision et au final la solennité
qui devraient caractériser toute réforme. Il s’ensuit un droit bavard et sans grandeur auquel le justiciable ne prête
qu’une oreille très distraite.
B – Une pathologie incurable ?
La procédure pénale est en crise, les symptômes sont clairs et le diagnostic est unanime. Mais la pathologie qui la
frappe est-elle pour autant à ce point incurable ? La simplification relèverait-elle davantage de l'incantation que de
la réalité juridique ? Comment la simplification envahit-elle à ce point les discours en irriguant aussi peu la pratique
judiciaire ? Plusieurs explications peuvent être ici avancées. Le premier frein à la simplification réside dans l'essor
contemporain des procédures dérogatoires. Née avec le terrorisme, cette procédure pénale « bis » (pour reprendre
l'expression du professeur Christine Lazerges) introduit aux côtés des règles de droit commun tout un dispositif