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Procédure Pénale




          d'exception destiné à mieux appréhender certaines formes contemporaines de criminalité et de délinquance. Au fil
          des réformes, les procédures dérogatoires sont devenues gloutonnes au point que l'exception l'emporte de plus en
          plus sur le droit commun comme en témoigne le livre IV du Code de procédure pénale intitulé « De quelques procé-
          dures particulières », riche à présent de trente titres différents !

          Le second frein à la simplification tient à la politique actuelle de dédoublement de l'action publique pour lutter contre
          la menace terroriste. Si la guerre contre ce crime de lèse-Nation repose sur un arsenal répressif régulièrement
          ajusté à l'évolution des périls, la procédure pénale n'épuise pas pour autant la panoplie des normes juridiques mobi-
          lisées pour lutter contre cette menace des temps modernes (V. à cet égard les apports de la loi n° 2017-1510 du
          30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme).
          Au dispositif pénal s'ajoute progressivement toute une batterie de mesures administratives (périmètres de protec-
          tion, visites domiciliaires, mesures individuelles de contrôle et de surveillance, gel des avoirs, blocage de l'accès aux
          sites internet, fermeture de certains lieux de culte, etc.) dont l'envergure, la combinaison et la pérennité brouillent
          indiscutablement la frontière traditionnelle entre la police administrative (dont la mission consiste à prévenir les
          comportements délictueux) et la police judiciaire (dont la mission consiste à réprimer ces mêmes comportements).

          Le troisième frein à la simplification de notre procédure pénale réside dans l'impérieuse nécessité de la mise en
          conformité de notre procédure pénale avec les instruments supra législatifs de protection des droits de l'Homme,
          et singulièrement le droit de l’Union européenne, celui de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
          l'Homme et des libertés fondamentales et celui issu du bloc de constitutionnalité. Assurément la garde à vue « à la
          française » (hors la présence d'un avocat et sans notification au suspect de son droit au silence comme dans le film
          éponyme de Claude Miller) présentait-elle certains charmes en termes de simplicité ! Sans doute un verdict de Cour
          d'assises dépourvu de toute motivation tant en ce qui concerne la culpabilité que la peine était-il plus facile à rédi-
          ger ! À l'évidence serait-il plus simple de procéder à une comparution immédiate sans avoir à solliciter du prévenu
          qu'il consente à être jugé séance tenante ! Indiscutablement le recrutement des anciens juges de proximité aurait-il
          été simplifié s'il n'avait pas été exigé de ces derniers certaines compétences juridiques ! Sûrement serait-il plus aisé
          d'assimiler en toutes circonstances – y compris dans le cadre d'une audition libre – le mineur délinquant au délinquant
          adulte ! Mais voilà, toute perspective de simplification de la procédure pénale est irrémédiablement vouée à l'échec
          dès lors qu'elle se traduit par une érosion des droits de la défense et du droit au procès équitable. Au-delà de la vieille
          querelle sur l'orientation accusatoire ou inquisitoire de notre procédure, tout « choc de simplification » doit donc
          impérativement s'inscrire dans le sillon des exigences constitutionnelles et européennes attachées à la légalité crimi-
          nelle : clarté, précision, prévisibilité, proportionnalité, accessibilité et intelligibilité de la norme. Sans être totalement
          marginale, la marge de manœuvre du législateur est donc relativement étroite, étant observé que certains efforts
          budgétaires (en termes par exemple de prime mensuelle des officiers de police judiciaire actuellement de l'ordre
          d'une centaine d'euros) aideraient sans conteste à mieux supporter quelques pesanteurs procédurales.



          II – …Les petits remèdes ?

          Initiés à l’automne 2017 par le Premier ministre, Edouard Philippe, et la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, les
          Chantiers de la justice avaient pour ambition de préparer une réforme globale de la justice française afin d’en amé-
          liorer la qualité et l’accessibilité, gages de confiance renouvelée du citoyen dans ce service public régalien. Structurés
          autour de cinq thèmes – dont l’un dédié à l’amélioration et à la simplification de la procédure pénale –, les Chantiers
          ont donné lieu à la remise de rapports (dont le rapport Beaume-Natali, janvier 2018) dans le prolongement desquels
          le Gouvernement a déposé un projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Examinée
          actuellement par le Conseil constitutionnel après avoir été définitivement adoptée le 18 février 2019, cette loi amplifie
          les démarches de simplification déjà engagées (A) sans pour autant constituer une remise à plat d’une procédure
          pénale que d’aucuns jugent en perdition (B).


          A – Les traitements déjà éprouvés
          Quand bien même paraît-elle encore lourde, complexe et empreinte de trop nombreux formalismes, la procédure
          pénale a pourtant fait l’objet depuis plusieurs décennies de différentes cures d’amincissement. Sans doute les sim-
          plifications réalisées sont-elles ponctuelles et bien en-deçà des attentes exprimées par les acteurs de terrain, cepen-
          dant nul ne conteste qu’elles s’inscrivent dans une démarche pragmatique visant à favoriser l’opérationnel en rédui-
          sant le caractère chronophage de la procédure. En application de réformes contemporaines, le parcours judiciaire
          des victimes est aujourd'hui considérablement simplifié. Depuis l’institution du guichet unique (loi du 15 juin 2000),
          il est ainsi fait obligation à la police judiciaire de recevoir les plaintes des victimes d'infractions, y compris lorsque



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