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Dossier PN/GN                                                                       Dossier PN/GN






 Juin 2018 ⁄ n°  332 ⁄ P. 14  Sans attendre, le SCSI-CFDT a saisi l’ensemble des parlementaires, M. Delevoye et plus récemment le DGPN ainsi   C/ Une cohésion disparue, un malaise permanent
 que le Premier Ministre afin que les retraites des gendarmes et des policiers fassent l’objet d’une réflexion commune
          Mieux que de longs discours, voici un extrait de l’audition de Pascal Lalle, directeur de la sécurité publique et l’inter-
 et égalitaire.
          vention de sénateurs de la commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité le mardi 10 avril 2018.
 On peut le constater, la Gendarmerie marque incontestablement des points dans beaucoup de domaines. Elle a su
          « Il n’y a aucun esprit de corps ! »
 préserver les avantages de son statut militaire, le transport à tarif réduit au quart de place, le logement gratuit pour
          François Grosdidier, rapporteur de la commission d’enquête (LR, Moselle), souligne « un état de dégradation morale
 ses personnels, sans égal en France, ni chez les autres militaires, ni dans l’ensemble la fonction publique. Par ailleurs,
 elle a su profiter des évolutions de la fonction publique et des règles européennes relatives au temps du travail et
          chez les gendarmes ». « Une grande part des personnels voient leur équipe directe, mais pas d’autres collègues. C’est un
 c’est tant mieux pour les personnels de gendarmerie.   largement supérieur dans la Police par rapport à la Gendarmerie, expliqué par certains par l’existence d’un esprit de corps
          facteur d’isolement », répond Pascal Lalle. En outre, « contrairement aux gendarmes, il n’y a pas de vie collective en dehors
 Pour autant, tout ne va pas si bien dans le meilleur des mondes dans la Gendarmerie : le conservatisme, une forme   de la fonction dans la Police » poursuit-il, invoquant également « le côté individualiste qui s’accroît dans la société et qui
 d’autarcie, la focalisation sur les secteurs de pointe au détriment du maillage local, le renouvellement d’une grande   touche aussi les policiers dans leur vie personnelle », tout en reconnaissant que « la chaîne hiérarchique est perfectible ».
 partie de ses personnels font partie des défis que devra relever la Gendarmerie.   Interpellé par François Grosdidier sur le fait « qu'un officier de Gendarmerie en bave avec ses hommes, alors que les
 Ces défis sont néanmoins sans commune mesure avec ceux de la Police Nationale, sclérosée, divisée qui doit trouver   commissaires sont conditionnés à être des gestionnaires et non des meneurs d’hommes », le directeur central de la sécurité
 très vite un nouveau souffle.  publique souligne que « les commissaires sont sur le terrain lors d’affaires sensibles ». « La répartition des corps résulte de
          l’histoire de la Police Nationale », ajoute-t-il.
          « Ou vous ne voulez pas voir la situation, ou vous n’êtes pas suffisamment informé ! » réagit Henri Leroy (LR, Alpes-
 III/  Une Gendarmerie plus forte en raison des faiblesses structurelles    Maritimes). « Ce que nous entendons depuis trois mois est dramatique, la Police est au bord de l’explosion, il faut que vous en
 de la Police Nationale   soyez persuadé ! » poursuit l’élu. « Jamais le moral des policiers, tous corps confondus, n’a été aussi mal. Il n’y a aucun esprit
          de corps. Nous avons tous été choqués par ce constat. »
 Les carrières individuelles l’emportent sur les esprits de corps. La maison Police n’est plus constituée que de multi-
 ples chapelles accrochées à leur pré carré.

 A/Une absence de vision stratégique
 Si la Police Nationale est souple et réactive, elle est dépourvue de vision stratégique. Pour combler ce vide, Jean-Marc
 Falcone avait initié une réflexion et une mission « stratégie et prospective ».
 Totalement inconnue de l’ensemble des personnels, elle était chargée d’établir un diagnostic et de définir une vision
 stratégique basée sur trois valeurs de la Police Nationale : dévouement, courage, intégrité.
 Après une journée de réunion de direction stratégique (tous les grands directeurs enfermés « sans leur portable »
 pendant un jour) un plan de communication était prêt et une réunion des 130 « top managers » devait se réunir en
 grande pompe à la DRCPN… Manque de chance, la date de cette grande messe était fixée en pleine grogne policière.
 Elle a été annulée au tout dernier moment et depuis, est tombée aux oubliettes…
 Cette absence de vision stratégique dans de nombreux domaines a des causes endogènes profondes notamment
 liées à l’organisation de la Police Nationale en tuyaux d’orgue ou silos.

 B/Une organisation en tuyaux d’orgues
 Cette organisation génère de nombreux doublons, concurrences entre services, des investissements parfois diffé-
 rents, des stratégies divergentes et une organisation territoriale disparate.
 L’exemple du LRRPN est symptomatique. Alors que le logiciel de rédaction de procédures de la Gendarmerie est
 parfaitement opérationnel, celui de la Police, l’outil quotidien des enquêteurs, est obsolète. Il fait perdre des millions   Le SCSI-CDT était intervenu devant cette même commission pour souligner la nécessité de faire évoluer la chaîne
 d’heures de travail aux services de police depuis des années. Gendarmerie et Police n’étaient pas arrivées à s’accor-  hiérarchique, de créer une véritable académie de police, de mutualiser les bureaux de gestion des cadres, de favo-
 der sur un logiciel commun alors que le nombre de services mixtes se développe ! Aujourd’hui, un nouveau logiciel   riser l’ascenseur social et de casser les conservatismes d’une technostructure qui met tout en œuvre pour que rien
 est enfin envisagé mais une nouvelle fois, il ne sera pas commun. Comment peut-on perdurer dans cette voie alors   ne bouge…
 que la passerelle Police/Gendarmerie permet le passage d’une force à l’autre et que le code de procédure pénale est
 identique pour tout le monde ? Mais au-delà de cette dualité, Scribe, le nouveau logiciel, a du mal à voir le jour ; les   IV/ Illustration par des exemples concrets
 directions d’emplois de la Police Nationale ont toutes des demandes différentes et peinent à se mettre d’accord… Les
 policiers devront une nouvelle fois attendre. Combien d’années encore ?  A/ Le temps de travail
 Cette organisation en silos génère d’autres inconvénients, comme une absence de lisibilité dans les territoires. Alors   Aujourd’hui, nombre d’entreprises s’adaptent aux nouvelles attentes générationnelles de leurs personnels, intègrent
 qu’un préfet de région a pour interlocuteur un seul responsable de la Gendarmerie, il se retrouve systématiquement   les évolutions numériques et mettent tout en œuvre pour favoriser le bien-être au travail, lutter contre le burn out,
 avec une kyrielle d’interlocuteurs policiers aux compétences territoriales hétéroclites.   mal professionnel du début de siècle. Ainsi, elles permettent à leurs salariés de mieux concilier vie professionnelle
 Difficulté de coordination, absence de prise en compte des nouvelles régions administratives, strates administratives   et vie privée avec la mise en place d’horaires variables et du télétravail. Cette envolée de la flexibilité est au service
 multiples qui ralentissent la circulation de l’information et la rapidité de prise de décision, sans parler des querelles   de plus d’efficacité.
 éventuelles de chefs… la Police Nationale souffre d’une organisation verticale et horizontale complexe et dépassée   Dans la Police Nationale, malgré un taux d’absentéisme conséquent et un taux de suicide trois fois supérieur à la
 qui nécessite des coordinations multiples.   moyenne nationale, beaucoup plus élevé que dans la Gendarmerie, la technostructure policière ralentit les évolutions
 Le DGPN, sans adjoint, et des services sous-dimensionnés, a toutes les peines du monde à piloter ce paquebot.  nécessaires. Elle « rechigne » depuis des années à appliquer les règles européennes du temps de travail.



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