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S uicidez-vous !




          Suicidez-vous !





                                                                           [Jean-Michel SCHLOSSER |
                                                                               Docteur en sociologie
                                                       Chercheur associé au Centre d’études et de recherches
                                                   sur les emplois et les professionnalisations (CEREP EA 4692)
                                                         et au Centre de recherches sociologiques sur le droit
                                                            et les institutions pénales (CESDIP UMR 8183) ]





         «    Voilà ce qu’a vu le soleil d’hier, citoyens ! Et que verrait le soleil d’aujourd’hui ?
              Il verrait un autre peuple, d’autant plus furieux qu’il a moins d’ennemis à combattre,
              se défier des mêmes hommes qu’il a élevés hier au-dessus de lui, les contraindre

              dans leur liberté, les avilir dans leur dignité, les méconnaître dans leur autorité,
                                     »
              qui n’est que la vôtre.

                                                               (Alphonse de Lamartine, Discours à l’Hôtel de Ville,
                                                                                              25 février 1848)




                   Dans la foulée du désormais traditionnel refrain entendu lors de toute manifestation « Tout
                   le monde déteste la police », est apparu un nouveau slogan : « Suicidez-vous ! »
                   Sur les cendres encore chaudes de l’émoi populaire causé par l’incendie de la cathédrale
                   Notre-Dame de Paris, le nihilisme nouveau fait son lit à coup d’anathème. Un pas a été
                   franchi dans l’abomination de ces paroles qui deviennent hélas courantes lorsque l’exas-
                   pération passe du terrain des revendications à celui de la haine. Lorsque la raison, fut-elle
                   débridée, cède le pas à l’émotion la plus vile. Mais après tout, souhaiter la disparition de ce
                   que « tout le monde » dit haïr, traduit une pensée qui s’enserre dans une forme de « doxa
                   séditieuse ».

                   Cette foule hurlante, poing levé, appelant les policiers à se suicider dans le contexte actuel
                   connu, que sait-elle au juste de la réalité si difficile à percevoir dans l’exercice d’un métier
                   dont la plupart des contraintes n’apparaissent pas aux yeux du grand public ? Que sait-elle
                   des difficultés, de la fréquentation quotidienne de la mort, de la souffrance, du déses-
                   poir qui finit malheureusement, parfois, par se retourner sur ses accompagnants que sont
                   les policiers ? Rien. Ou pas grand-chose. Elle aurait pu alors, cette foule, appeler tout
                   aussi bien au suicide de n’importe quelle corporation professionnelle ? Alors, peut-elle en
                   parler ?

                   De quel droit des vitupérateurs qui ne connaissent que l’endroit de la société pourraient-ils
                   s’instituer en juges de ceux qui précisément en connaissent aussi l’envers.

                   À tous ces imprécateurs, il faudrait rappeler la formule célèbre du Tractatus de Wittgenstein :
                   « au sujet de ce dont on ne peut parler, on doit se taire ».

                   Mais il est à craindre qu’au-delà de la profession, ces mots s’adressent en forme de suren-
                   chère au corps propre de l’individu. En effet, cet anathème jeté à la face policière révèle
                   un changement profond dans la verbalisation de l’adversité. Au triste et fameux slogan de
                   « CRS – SS » officialisé lors des évènements de Mai 1968 (dont il y a fort à parier que
                   la plupart de ceux qui lançaient ce cri ne connaissaient pas les pratiques de la SS) et qui
                   s’adressait  toutefois  à  un  ensemble  constitué,  l’ensemble  des  forces  de  l’ordre,  suivent
                   aujourd’hui d’autres cris qui visent directement l’homme derrière l’uniforme et ce qu’il




                                                                                              mars 2019 ⁄ n° 335 ⁄ p. 5
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