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M alaise policier
Un mal inéluctable ?
Pas un mois sans qu’un article ou une interview ne parle de la vision d’un tel ou une
telle sur la crise dans la Police nationale. Souvent, le regard est pertinent et juste,
mais il est, fréquemment, trop réducteur et manque d’une certaine hauteur. Tentons
avec humilité, de prendre quelques vertiges à penser ce sujet et montons quelques
étages vers l’empyrée.
La police est en situation délicate. Confrontée à des attaques médiatiques, parfois même politiques, son niveau de
mobilisation demeure fort mais le moral de ses équipes reste assez bas.
La Police nationale n’est pas un monolithe taillé de manière administrative au gré des circonstances de l’Histoire.
Elle se pense d’abord comme une communauté de personnes engagées au service de la population et de l’État. Il
est essentiel de rappeler cette dimension profondément incarnée, charnelle, de ce monument de l’action publique
car on a trop souvent tendance à aborder la question de ce malaise policier sous l’angle du constat des moyens, du
diagnostic économétrique, sans jamais vraiment oser une autre vision que celle de la réforme structurelle. Si elle est
une voie de recours au problème, elle n’est certainement pas la seule ni la plus importante.
La Police nationale doit, pour s’en sortir, répondre à trois grands enjeux qui assureront en cas de réussite, à la fois
sa pérennité, son prestige et son autonomie.
• L’enjeu de la puissance, à l’aune de laquelle elle retrouvera un sens à la vertu démocratique qui l’anoblit :
l’émancipation. La police doit s’affranchir dans son rapport aux autres : autorités de tutelle, judiciaire,
préfectorale et médiatique. Face à ces dernières, elle doit retrouver un attribut de souveraineté, c’est-à-dire
une parole libre, une modulation qui permette à ses chefs d’être en mesure de s’imposer, de parler d’égal à
égal et surtout une capacité à s’engager personnellement afin de bénéficier d’une marge d’autonomie réelle
et non d’un carcan de servilité.
• L’enjeu de la simplification ensuite : la police n’est pas un artifice mécanique ou informatique. Elle est une
volonté humaine en mouvement, mue par le désir de servir la justice, de porter secours et assistance et
parfois même de protéger l’État. À ce titre, et pour faire vivre ses aspirations légitimes, pour garantir son
efficacité et relancer la motivation de ses personnels parfois désabusés, il faut impérativement qu’elle simplifie
son fonctionnement. La bureaucratisation, les protocoles inutiles, redondants ou cruellement absents là où
ils seraient nécessaires, l’excès de centralisation, abîment actuellement la force et l’état d’esprit des policiers
français.
• Enfin, l’enjeu de la responsabilité. La police doit comprendre que, pour mieux s’engager, elle doit revoir son
approche managériale. Il lui faut davantage promouvoir les compétences personnelles, la manière de servir
et les initiatives locales plutôt que l’uniformisation, la nomenclature et l’ancienneté. Le recours plus large au
contrat permettra de renforcer le principe de responsabilité individuelle. Il faudra aussi repenser la légitimité
de l’autorité hiérarchique et la cohérence des parcours de carrière. Elle devra enfin être entendue dans son
désir d’être traitée avec équité dans son rapport avec les autres corps du ministère de l’Intérieur.
Ces trois enjeux nous permettront, si nous les comprenons bien et acceptons de les relever vraiment, de redonner du
sens et de la force dans l’action policière. Elle s’inscrira aussi nécessairement dans une remise en cause de principes
qui laissent prédominer un système pénal et procédural à bout de souffle et devant être recentré. Elle offrira une
opportunité unique pour prioriser les grands combats à mener au nom de la sécurité publique et nationale car
l’affaire de la police est l’affaire de tous dans la cité.
La réforme ne doit pas être seulement globale, elle doit être aussi intégrale. Il en va de l’intégrité, de la motivation et
de la confiance que nos policiers auront envers leur institution.
Geoffroy GODINET
Commissaire de police – SCSI
décembre 2018 ⁄ n° 334 ⁄ p. 27