“Nous souhaitons implanter durablement la CFDT au ministère de l’Intérieur” (Jean-Marc Bailleul, SCSI)
“Nous souhaitons implanter durablement la CFDT au ministère de l’Intérieur. Nous voulons montrer qu’une nouvelle façon de pratiquer le syndicalisme est possible.” C’est ce qu’indique le secrétaire général du SCSI (Syndicat des cadres de la sécurité intérieure), Jean-Marc Bailleul, dans un entretien à AEF. Il évoque les élections professionnelles de 2014, qui ont vu son organisation arriver en tête chez les officiers, et le contexte actuel de lutte antiterroriste. S’il se réjouit des renforts alloués au SCRT, Jean-Marc Bailleul s’interroge sur “le principe des 50 gendarmes qui renforceront le renseignement territorial tout en restant physiquement affectés dans leur brigade”. Plus généralement, il demande “un véritable calendrier du dialogue social” pour l’année 2015 au ministère de l’Intérieur.
AEF : L’actualité des forces de l’ordre est marquée par la mobilisation dans le cadre de la lutte antiterroriste. Quelles en sont les conséquences ?
Jean-Marc Bailleul : Il y a chez les policiers une réelle fatigue et une réelle interrogation sur le maintien de certaines missions à court et à plus long termes. Pour ce qui concerne les conséquences immédiates, il est clair que la sécurisation des sites sensibles a des conséquences sur l’opérationnalité des services. Nous souhaitons que le renfort des militaires soit maintenu et que certaines missions de protection soient assouplies, comme celles du SDLP (service de la protection), par exemple.
À plus long terme, il faudra trouver des solutions pour décharger la police de certaines gardes statiques. Je pense notamment à certains bâtiments publics, tels que des palais de justice, qui pourraient être gardés par des effectifs de la justice, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons. Des progrès ont également été faits quant au recours à des sociétés de sécurité privée, ils doivent se poursuivre.
Contrairement à d’autres, je ne pense pas que le paiement des heures supplémentaires puisse solutionner le problème. On ne peut pas, d’un côté, dire que les policiers sont fatigués et, de l’autre, vouloir encourager les heures supplémentaires ! Il faut se poser plus globalement la question de l’organisation de la police, de ses missions et des cycles de travail, par exemple.
AEF : Quel regard portez-vous sur les renforts d’effectifs annoncés pour les services de renseignement ?
Jean-Marc Bailleul : Les renforts à la DGSI étaient déjà amorcés. Ils sont évidemment positifs mais il faudra affiner la définition des missions confiées aux contractuels ou aux policiers afin d’éviter toute confusion. Pour le renseignement territorial, les effectifs supplémentaires sont également bienvenus, mais cela risque de se faire au détriment d’autres services. Les renforts sont néanmoins lissés dans le temps, ce qui constitue une solution pragmatique et beaucoup moins démagogique que ceux parfois annoncés par le passé.
Le principe des 50 gendarmes qui renforceront le renseignement territorial tout en restant physiquement affectés dans leur brigade est assez curieux. Cela laisse planer le doute : seront-ils uniquement affectés à cette mission ? Dans tous les cas, c’est une entorse supplémentaire à l’esprit du renseignement territorial, conçu comme un service unique composé d’agents des deux services assurant la sécurité intérieure, qui peuvent ainsi mutualiser leurs effectifs pour être plus efficaces.
AEF : Au-delà des mesures prévues dans le cadre du projet de loi relatif au renseignement quelles sont les évolutions à mettre en œuvre au sein des services de renseignement, selon vous ?
Jean-Marc Bailleul : Les services de renseignement territorial doivent disposer d’une autonomie budgétaire et faire partie intégrante de la communauté du renseignement pour avoir accès à l’ensemble des moyens techniques et ainsi assurer pleinement leurs missions. En ce qui concerne les fichiers, il faut en améliorer l’ergonomie et la transversalité. Nous souhaitons d’ailleurs que le renseignement territorial puisse avoir accès aux grands fichiers publics, tels que ceux des caisses d’allocation familiales ou des impôts. Aujourd’hui, c’est trop souvent en offrant une boîte de chocolats ou un restaurant que les policiers peuvent avoir accès à ce type d’informations ! Il faut également simplifier les procédures internes pour les alléger.
AEF : Le ministère de l’Intérieur a demandé aux organisations syndicales leurs observations quant aux enseignements des attentats de janvier 2015 sur l’intervention des policiers. Quelles sont celles du SCSI ?
Jean-Marc Bailleul : En premier lieu, que nos équipements ne sont pas adaptés pour faire face à des armes de guerre. Le renouvellement des gilets pare-balles a été engagé, c’est une bonne chose, mais il prendra plusieurs années.
La question des règles d’usage de l’arme revient au cœur du débat : les policiers doivent-ils pouvoir l’utiliser avant que les conditions de la légitime défense soient réunies ? C’est une vraie question. Nous sommes d’accord avec l’idée de définir des règles de légitime défense différentes entre les forces de l’ordre et les citoyens, contrairement à ce qui prévaut aujourd’hui, mais il faudra que la sécurité juridique des agents soit assurée. Une étude de la DLPAJ est en cours. Dans tous les cas, si on modifie la légitime défense, il faudra en profiter pour uniformiser les règles d’engagement des armes des policiers et des gendarmes. Si la question était encore taboue il y a trois ans, il faut aujourd’hui avancer sur ce point.
Pour les polices municipales, plutôt que de les armer toutes, nous recommandons de différencier leurs uniformes de ceux des policiers nationaux, afin de lever toute confusion.
AEF : Avant les attentats, les policiers ont voté pour désigner leurs représentants. La liste de la CFDT que vous conduisez est arrivée quatrième au comité technique ministériel. Comment jugez-vous ce résultat ?
Jean-Marc Bailleul : Par rapport à notre objectif de départ, celui d’obtenir un siège au comité technique ministériel, nous sommes satisfaits. À l’échelle du corps des officiers, nous avons la majorité absolue malgré les quatre listes qui étaient en lice. Nos détracteurs soulignent que nous ne serons pas présents au comité technique de réseau de la police nationale mais, étant majoritaires au sein de notre corps, nous serons associés à toutes les discussions relatives aux officiers comme le temps de travail, les grilles indiciaires… De plus, il faut relativiser la portée des comités techniques : même avec des votes négatifs unanimes à deux reprises, les textes passent quand même. La négociation se joue donc surtout au quotidien.
Bien évidemment, le fait de ne pas avoir pu constituer de liste avec l’Unsa est un regret. Nous aurions pu aller chercher un quatrième siège. Ce qui s’est passé pendant la campagne et après les élections ne nous fait toutefois pas regretter notre choix. Je pense notamment au projet de réforme de la PTS, auquel nous aurions été opposés, et à notre vue divergente du SCPN sur le recrutement des cadres. Des stratégies étaient en œuvre pour que cela ne se fasse pas et nous rendre responsables de l’échec.
AEF : Dans un entretien accordé à AEF avant les élections, vous indiquiez vouloir développer la CFDT au ministère de l’Intérieur…
Jean-Marc Bailleul : En effet, nous souhaitons l’implanter durablement. Nous voulons montrer qu’une nouvelle façon de pratiquer le syndicalisme est possible, en particulier pour œuvrer de manière transversale au profit de l’ensemble des personnels de la place Beauvau. Le syndicalisme ultra-catégoriel existe, mais il ne répond pas au besoin de réformes cohérentes que le contexte budgétaire appelle. Par ailleurs, le calcul de la représentativité des confédérations syndicales au niveau national, en 2017, devrait à nouveau modifier le paysage syndical. La représentativité de l’Unsa et de la CFE-CGC n’est pas acquise…
AEF : À l’heure où débutent les négociations syndicales, quels sont les dossiers prioritaires à régler, selon vous ?
Jean-Marc Bailleul : Nous attendons l’annonce d’un véritable calendrier du dialogue social sur plusieurs thématiques. Il y a la question du temps de travail des officiers de police. Saisie par le SCSI, la Commission européenne a demandé à la France, en septembre 2014, de respecter la directive européenne sur le temps de travail dans la police en fixant une durée hebdomadaire pour les officiers. La France a obtenu un nouveau délai pour compléter et préciser ses réponses. À l’heure actuelle, le temps de travail des officiers n’est pas comptabilisé. Cela représente des risques pour la santé au travail, d’autant que, dans le cas de la police, on parle d’agents armés sur la voie publique. Cette question montre la nécessité de réorganiser le travail dans la police. Avec une durée maximale de travail et une durée minimale de repos, les récupérations seront donc obligatoires. Et cela ne doit pas être tabou !
Sur le statut des personnels scientifiques, le projet qui nous a été présenté par l’administration n’est pas acceptable. Nous sommes en premier lieu très mécontents de la forme : alors que nous n’avons pas été reçus une seule fois sur le temps de travail, nous découvrons que les syndicats de PTS ont mené des négociations secrètes de plusieurs mois. Sur le fond, la correspondance des corps et des grades prévue par la réforme est inacceptable. Le statut des personnels de PTS appelle une évolution, mais pas celle-là. Nous avons ressenti la proposition de l’administration comme une provocation.
En 2015, nous continuerons également à demander une parité réelle entre les officiers de police et ceux de la gendarmerie. Elle doit concerner la grille indiciaire, les grades, les contreparties en termes de postes après la promotion de gendarmes à la tête de plusieurs SDRT… Nous nous mobiliserons également pour la simplification de la procédure pénale, dans laquelle nous sommes noyés au quotidien. À ce sujet, la transaction pénale prévue par la loi du 15 août 2014 ajoutera encore des missions et des tracasseries administratives aux policiers, le tout sans concertation
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