Paris, le 10 avril 20012.
GARDE À VUE : UNE ÉVOLUTION ANNONCÉE, ET APRÈS ?
C’est avec intérêt mais aussi avec un peu d’amertume que nous suivons les déclarations, rapports et conclusions qui se succèdent ces dernières semaines au sujet de la garde à vue, de la part des autorités publiques.
En résumé on y observe que tout ce qui était annoncé et dénoncé par notre syndicat se réalise, y compris dans l’estimation des proportions et des tendances.
Ainsi, par exemple :
– le nombre de GAV pour les affaires simples a continué de régresser dans les mêmes proportions sur la période 2011-2012 qu’il l’avait fait à partir de 2009, avant la réforme ;
– depuis la loi d’avril 2011, la durée moyenne de la garde à vue a très significativement augmenté du fait des lourdeurs de procédures qui viennent en diminution du temps nécessaire à l’enquête proprement dite, et obligent donc à prolonger les GAV ;
– le contenu des actes d’enquête accomplis au cours de la GAV s’appauvrit, en particulier dans les affaires complexes où les auditions tendent à devenir des actes purement formels ;
– dans les affaires simples traitées sans GAV, le taux de succès de la reconvocation est faible puisque, selon les lieux, jusqu’à 2/3 des personnes ne se représentent pas, ce qui confirme et relance la nécessité d’un cadre juridique approprié au traitement de ces affaires ;
– les conditions matérielles du déroulement de la GAV et de la réalisation des actes de procédure sont toujours notoirement insuffisantes, par manque de locaux, par manque de moyens techniques, telle la dématérialisation des procédures.
Tous ces “constats” avaient été anticipés et annoncés par le SNOP – SCSI dès 2007, et ajustés à chaque étape du processus de réforme de la GAV.
Nos communiqués de presse, nos interventions à l’Assemblée Nationale, au Sénat, place Beauvau et place Vendôme, les rapports et propositions écrits que nous avons publiés, nos travaux avec la Fédération Nationale des Unions des Jeunes Avocats, et enfin les conclusions du colloque organisé avec l’Union Syndicale des Magistrats, le démontrent amplement.
À l’époque nous avions été un peu écoutés, mais certainement pas assez entendus : la loi du 14 avril 2011 n’avait intégré qu’un infime partie de nos propositions et solutions pour une réforme équilibrée du régime de la garde à vue.
Bien sûr on peut considérer que le législateur, démuni de moyens budgétaires, était légitime à ne choisir que des voies moyennes, quitte à réévaluer ensuite le dispositif pour l’ajuster, si possible.
Mais ce serait oublier un peu vite les motifs très pressants pour lesquels la France s’est finalement résolue à engager cette réforme trop longtemps retardée, et les enjeux essentiels de sécurité et de justice qu’elle emporte.
Il y a donc quelque chose de désolant à ce que les organisations professionnelles et syndicales les plus impliquées dans ce débat entendent aujourd’hui les autorités publiques égrener les dysfonctionnements et autres effets négatifs annoncés de cette réforme, comme s’il s’agissait d’une découverte.
En fait, on pourrait dire qu’il n’y a ni découvertes ni constats, seulement des confirmations.
Mais en attendant d’hypothétiques nouvelles réformes, face aux délinquants, auprès des victimes, au contact des autorités judiciaires, des avocats, ce sont les policiers qui encaissent en première ligne toutes les insuffisances de la loi et doivent déployer une énergie considérable pour aboutir à la manifestation de la vérité.
Éternelle variable d’ajustement des politiques de sécurité et des incohérences de l’empilement législatif, combien de temps vont-ils devoir attendre que le train des réformes se remette en route, sur la bonne voie ?
Une réflexion particulière doit être consacrée aux positions récemment exprimées par les avocats à la Conférence des Bâtonniers, ou par l’Ordre des Avocats de Paris.
Là encore ce qui paraissait déjà évident dès les premières versions du projet de loi sur la GAV est présenté aujourd’hui comme autant de difficultés qui menaceraient l’exercice des droits de la défense :
– d’abord les distances entre les lieux de résidence des avocats et les implantations de police et de gendarmerie induiraient des temps de déplacement trop longs, alors même que les services d’enquête ne feraient aucun effort pour centraliser les gardés à vue ;
– ensuite, et peut être par conséquent, les avocats seraient de moins en moins volontaires pour assurer la permanence des gardes à vue ;
– enfin, les charges financières pesant sur les barreaux pour l’organisation et la gestion des permanences seraient trop élevées ;
Ces conclusions ne manquent pas de surprendre : n’avons nous pas entendu des voix fortes parmi les avocats dire qu’ils “seraient prêts”, qu’ils “sauraient s’adapter”, et protester de leur infaillible mobilisation autour des droits de la défense pour garantir, envers et contre toutes les difficultés, l’évolution de la loi vers un droit plus juste ?
Notre syndicat qui a été le seul à engager ouvertement et sans tabou la discussion avec les avocats tout au long du débat public sur la garde à vue, qui a proposé de nombreux aménagements pour équilibrer, encadrer et faciliter les rôles respectifs des avocats et policiers, ne saurait être taxé de parti-pris.
Mais enfin, sans tomber dans la caricature ni douter de la sincérité du propos, il est bien temps de découvrir aujourd’hui que les durées de trajet, la distance, l’encombrement de la circulation, les places de stationnement, sont une contrainte !
Quelle est la solution suggérée ? Que les policiers centralisent les gardés à vue… autrement dit que ce soit les policiers qui se déplacent, et pas les avocats.
L’accomplissement des enquêtes s’était déjà largement compliqué et on voudrait les paralyser complètement qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Est-ce bien sérieux ?
Faut il s’étonner aussi d’une motivation en baisse chez les avocats pour venir assister des gardés à vue à toute heure du jour ou de la nuit ? Il faut bien dire, hier comme aujourd’hui, que la matière n’est pas toujours passionnante ni l’intervention utile… même au nom des grands principes.
Les questions financières aussi sont importantes : les avocats doivent bien sûr être justement rémunérés pour leurs interventions, mais tous les justiciables qui aujourd’hui s’acquittent de timbres fiscaux pour agir devant les tribunaux et y faire valoir leurs droits ne mesurent ils pas, eux aussi, le coût de la réforme ? S’il s’alourdit encore, qui payera ?
Un mot encore d’analyses auxquelles nous ne pouvons souscrire : selon la Conférence des Bâtonniers, la baisse du nombre des gardes à vue serait la preuve que nombre de ces mesures étaient antérieurement prises pour le simple confort des OPJ, ou encore dans le seul objectif de faire pression sur les mis en cause.
Il n’en est rien, ou alors de façon si marginale. La réalité est qu’une part des gardes à vue était systémique, imposée par la loi et par le traitement judiciaire en temps réel des petits délits. On voit bien aujourd’hui que sur ce segment les convocations délivrées en lieu et place des gardes à vue aboutissent à ce que le mis en cause ne se représente aux policiers que dans un cas sur trois, ralentissant d’autant la conclusion de l’enquête et la réponse judiciaire.
En outre, le nombre des gardes à vue avait commencé à diminuer bien avant le vote de la loi, simplement parce que devant l’ampleur du débat public, la pression exercée sur les officiers de police judiciaire s’était réduite, rendant ses droits au discernement.
Enfin, le débat est relancé sur la question essentielle de l’accès au dossier. Derrière l’ambiguïté et le malentendu sur ce qu’est un dossier qui matériellement n’existe pas toujours, ou peut représenter des centaines ou milliers de feuillets dispersés en plusieurs lieux d’enquête, l’important est en fait l’accès de l’avocat à l’information utile à son rôle.
Ainsi formulée l’interrogation est plus claire et notre position toujours aussi nette : le temps de la garde à vue est celui de l’enquête, pas du débat autour des éléments de preuve.
L’accès de l’avocat aux éléments de l’enquête avant que les policiers aient pu y confronter le gardé à vue est une chimère, un leurre. L’enquête ne peut se discuter entre les policiers et la défense, ni en opportunité ni en stratégie, avant son terme.
Le rôle de l’avocat ne peut être, à ce stade, que celui du défenseur des droits essentiels du gardé à vue, quelle que soit la frustration que provoque l’attente d’un accès à tous les éléments de l’affaire.
Son information pour assurer ce rôle peut et doit sans doute être améliorée, mais encore faut-il qu’un consensus existe sur cette frontière entre les attributions des avocats et policiers. A défaut, les conflits de territorialité rendront illusoire toute idée d’une réforme équilibrée et durable du régime de la garde à vue.
Michel-Antoine Thiers
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