COMMISSAIRES INFOS N°17 – TRIBUNE AU “MONDE” – LA NOUVELLE LOI ANTITERRORISTE
novembre 02, 2017
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“La nouvelle loi antiterroriste offre aux forces de l’ordre des outils mesurés”
Dans une tribune au « Monde », le commissaire de police Guillaume Ryckewaert estime que l’état d’urgence était une mesure prise par défaut, en l’absence de solution plus adaptée. Selon lui, la nouvelle législation pallie ce manque.
LE MONDE | 31.10.2017 à 09h54 • Mis à jour le 31.10.2017 à 10h00 |Par Guillaume Ryckewaert (Délégué National des Commissaires de Police au Syndicat des cadres de la sécurité intérieure – Police Nationale)
Tribune. Le 14 juillet 2016, à midi, le président de la République envisageait, après neuf mois d’application, la levée de l’état d’urgence pour, le soir même, le maintenir, rattrapé par le tragique attentat de Nice… L’état d’urgence a été, il est vrai, une mesure juridique et politique permettant de pallier les insuffisances du droit commun et aussi, disons-le, un déficit d’idées du pouvoir politique et de la haute hiérarchie de l’Etat. On peut même dire qu’il a été la solution à une certaine panique des autorités, de laquelle la déchéance de nationalité a failli également émerger.
Reconnaissons, d’ailleurs, que dans un premier temps, l’état d’urgence a permis, comme en 2005 lors des émeutes dans les banlieues, de rassurer ponctuellement la population pendant quelques semaines.
Dans le contexte actuel, imaginerait-on voir l’état d’urgence promulgué pour une durée limitée à chaque attentat ? Non. Mesure généraliste excessive face à un problème devenu permanent, l’état d’urgence était une alternative, faute de mieux… Il fallait donc mêler droit et pragmatisme.
Urgence et prévention, les maîtres mots
La nouvelle loi antiterroriste qui entre en vigueur le 1er novembre y met fin tout en offrant aux forces de l’ordre des outils mesurés : perquisitions administratives (ou « visites domiciliaires »), contrôles facilités aux frontières, assignations à résidence… Une « boîte à outils » juridique dans laquelle les forces de sécurité pourront puiser. Choix équilibré du pouvoir, nous ne considérons pas cette nouvelle loi comme un blanc-seing.
Au-delà de tous les fantasmes superficiels relayés par certains, urgence et prévention au service de la sécurité des citoyens, voilà les maîtres mots de ce que sera l’usage par les services de police des outils de cette loi. Par exemple, qui sera choqué par une visite domiciliaire réalisée sans attendre chez un proche lillois du terroriste belge qui vient de commettre un attentat à Bruxelles ? Préfère-t-on rester dans l’inertie conférée alors par le droit commun ou attendre les quelques heures de promulgation éventuelle de l’état d’urgence par le président de la République ?
S’agissant de mesures réservées aux personnes en lien avec un individu ou une organisation terroriste, les craintes quant au non-respect de l’état de droit restent bien loin. Rappelons, à titre d’exemple, qu’une perquisition administrative sera plus protectrice qu’une perquisition judiciaire, puisque le juge des libertés et de la détention devra l’autoriser et un conseil pourra y assister. Autant de garanties qui n’existent pas dans la procédure pénale classique.
Lors d’un concert à risque, jugé tel par un préfet, ne sera-t-il pas rassurant pour des parents voulant y amener leurs enfants que des contrôles d’identité, des inspections visuelles ou des fouilles de bagages seront réalisés pour leur sécurité ?
Cette loi n’est pour autant pas un aboutissement. Elle ne devra pas priver chaque pouvoir, institution ou corporation de se questionner sur ses certitudes parfois surannées. Chacun, y compris nous, syndicats, doit dépasser la seule demande d’effectifs ou de moyens pour aller sur le terrain des idées neuves.
Créer et innover
A quand une vraie réflexion aboutie par exemple sur l’organisation de nos services de renseignement ou la mutualisation concrète de nos forces d’intervention amenées à intervenir sur les attentats ? Pourquoi ne pas envisager, dans nos méthodes, d’appliquer à l’islam radical la culture du renseignement criminel ? C’est à la haute hiérarchie policière de créer et innover.
A quand la prise de conscience par le pouvoir politique de la place du trafic de stupéfiants comme vecteur financier, mais aussi et surtout sociologique du terrorisme dans nos cités ? Charlie Hebdo, le Bataclan, Barcelone (et son imam trafiquant de stupéfiants) sont autant de résonances du narco-banditisme. C’est au pouvoir politique d’être courageux et ferme dans ses choix. Face à des délinquants chevronnés et qui font fi des frontières, pensée complexe et prise en compte du temps long sont aussi nécessaires dans les thématiques sécuritaires.
Si chaque institution questionne ses convictions parfois obsolètes avant de critiquer l’institution voisine, nous nous donnerons les chances d’avancer vraiment. Est-il logique qu’à infraction égale un délinquant soit puni plus légèrement dans un territoire davantage marqué par la criminalité et où on devrait faire preuve d’une plus grande fermeté, et inversement plus lourdement dans des territoires français plus épargnés par la délinquance ? Voilà un vrai sujet d’organisation qui conditionne la sécurité d’un pays mais aussi les libertés individuelles dans leur ensemble.
Penser les libertés, c’est aussi penser les moyens de les permettre et le champ collectif nécessaire à leur réalisation. Rappelons-nous qu’il y a sept ans nous étions choqués de savoir qu’en Palestine des femmes puissent commettre des attentats. Il y a trois ans, on pensait aussi les ceintures d’explosifs réservées à l’Irak ou l’Afghanistan. Pensons, dès maintenant, à ce que pourrait être la délinquance dans cinq ou dix ans plutôt que de ressasser de fausses évidences qu’on n’ose plus questionner.